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Charte

Charte ouverte du design Végétal

1999, je rentre de Kyoto où j’ai séjourné près d’un an à la Villa Kujoyama.

Tel un électrochoc, le Japon m’a fait prendre conscience que le mode de pensée (et le mode de création) occidental n’est pas universel. C’est donc plein de doutes sur ma pratique du design que j’accepte alors la proposition d’enseigner à l’Ecole Supérieure d’Art et de Design de Reims. L’Esad, sous la direction pédagogique de Mathilde Brétillot, est en train de s’inventer. Les enseignants apprennent le design en même temps que les élèves ! Chacun cherche sa voie. Expérimentations sur la matière, langage plastique, recherche de nouveaux points de vu… La recherche pédagogique explore la relation art/design qui fonde la singularité de l’école. Marc Brétillot crée le premier atelier de recherche sur le design culinaire. Personnellement, je suis très intéressé par les questions sur la relation de homme à la Nature qui voient le jour en cette fin de siècle. Les débats sur ce sujet animent scientifiques, spécialistes des sciences sociales et professionnels de l’environnement (notamment paysagistes et architectes) mais, bizarrement, les designers s’intéressent encore peu à ces débats. C’est dans ce contexte que je fonde l’atelier de design végétal de l’école.

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Le développement des mégalopoles auquel on assiste alors sidère par son ampleur. L’équilibre historique entre ville et nature semble totalement bouleversé

Notre perception de la ville ou de l’architecture comme lieux séparés de la nature commence à s’effacer devant l’apparition d’un continuum habité intégrant nature et artifice. S’efface également la représentation d’un homme indépendant de son milieu naturel pour laisser place à celle d’un homme considéré comme phénomène naturel parmi les autre. Paysagistes, architectes, artistes s’emparent de cette situation pour produire des œuvres intrigantes et fortes. Dans son exposition Le jardin planétaire Gilles Clément met en scène son constat d’une « finitude écologique » et sa vision de la planète comme jardin élaborée dès 1995. Jean Nouvel interpelle en dessinant une petite colline couverte de plantes pour abriter temporairement le Musée Guggenheim de Tokyo. Avec cette esquisse il dissout les limites traditionnelles de l’architecture et réinterprète la relation ville-nature. Nombreux sont également les artistes qui travaillent sur les dépendances multiples et réciproque liant l’être humain, l’espace construit et la nature repoussant ainsi le principe de dualité sur lequel s’est appuyé la culture moderne (le dedans contre le dehors, l’artificiel contre le naturel, la forme contre l’informe, le visible contre l’invisible…) J’aime toujours beaucoup les installations des plasticiens Gerda Steinner & Jörg Lenzlinger ou les recherches de Philipe Rahm sur l’architecture physiologique. Parallèlement aux artistes, les scientifiques s’intéressent également au vivant. Agromatériaux pour l’architecture ou matériaux issus des biotechnologies pour l’industrie commencent juste à devenir opérationnels.

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Le design végétal tel que je le développe à l’Esad de Reims s’inscrit dans ce contexte. Il s’intéresse aux problématiques liées à l’introduction du vivant dans l’environnement construit.

Il envisage la plante comme sujet à la mesure de l’homme et cherche à mettre en place les conditions d’une coopération. Le végétal est alors regardé comme principe actif de l’architecture ou référence -voire modèle- pour le design… Les enjeux des projets sont multiples mais les préoccupations liées aux qualités sensibles et subjectives de l’espace (plastiques, tactiles, olfactives…) sont primordiales. La démarche se nourrit des recherches issues de différents champs disciplinaires, notamment de la biologie qui après des années d’exploration du règne animal découvre l’incroyable sophistication du règne végétal. Les travaux du botaniste et biologiste Francis Hallé (textes et dessins) restent la référence incontournable de l’atelier !

Les enjeux des projets sont d’ordres multiples mais les préoccupations liées aux qualités sensibles et subjectives de l’espace (plastiques, tactiles, olfactives...) sont primordiales. La démarche se nourrit des recherches actuelles issues de différents champs disciplinaires et notamment de la biologie qui après des années d’exploration du règne animal découvre l’incroyable sophistication du règne végétal (les travaux du botaniste et biologiste Francis Hallé (textes et dessins) restent la référence incontournable de l’atelier !).

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Intégrer végétal, architecture et objets dans une même dynamique de conception interroge les disciplines de l’environnement sous des angles nouveaux, inattendus et transversaux.

Apparaissent alors des problématiques d’ordre botanique, typologique, temporel, plastique, d’usage, technique, écologique, politique… Ce sont ces questionnements donnant lieu à des interprétations personnelles et faisant intervenir différents types de médias (objet, installation, scénographie, architecture intérieure, voire architecture) qui font la saveur du design végétal.

Différentes approches du design végétal

Typologie

Concevoir des espaces ou des objets mettant en œuvre du végétal renvoie naturellement à des territoires contigus à ceux de l’architecture ou du design tels que le jardin et le paysage. L’intérêt de tels projets se situe justement dans leurs ambigüités statutaires et les ouvertures en termes des recherches formelles, plastiques ou structurelles qu’elles favorisent.

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Temporelle

Les plantes sont théoriquement éternelles
alors que les objets sont passagers (leur obsolescence est même souvent programmée). Les plantes poussent, germinent, progressent.
La « stabilité » d’un objet intégrant des plantes est mise en cause par sa part d’organicité. La prolifération et le parasitage conditionnent son évolution, provoquant altérations, modifications, transformations... Se pose alors à nouveau la question du statut temporel de tels objets, de
leur entretien et des relations affectives qui s’établissent avec le vivant. Lors de restauration de jardins anciens, par exemple, on replante des espèces identiques, parfois descendantes de leurs aïeules, au projet original. Elles sont à la fois semblables et différentes. Le respect de l’intégrité esthétique, historique et physique de tels monuments est alors perçu dans une dimension intemporelle bouleversante.

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Plastique

Envisager les plantes comme un « matériau » intégré aux espaces habitables invite à reconsidérer leurs qualités plastiques et
formelles sous l’angle de l’architecture (couleur, transparence, densité, texture, réaction à la lumière, au son...) Ce dialogue entre langage botanique et langage plastique constitue l’intérêt majeur du design végétal.

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Usage

Intégrer du végétal aux espaces de vie quotidiens domestiques, aux lieux de travail ou aux espaces commerciaux, consiste le confronter à des principes ou concepts propres à l’architecture contemporaine telles que flexibilité, modularité ou « transformabilité ». Autant de notions éloignées de l’univers des jardins qui fonctionne essentiellement sur des valeurs de pérennité, de stabilité ou de durabilité.

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Technique

Le développement des techniques de culture hors-sol (essentiellement lié à la production intensive des plantes) permet des imbrications de plus en plus fines et intimes entre végétal et espaces construits. Apprivoiser ces technologies invite à s’interroger sur l’esthétique post- industrielle des machines et équipements. La culture sans terre questionne également les relations d’une flore détachée et libérée du sol avec l’espace : jardins suspendus, flottants, etc. La technologie permet aussi une interpénétration plus poussée du végétal au cœur de l’habitat, faisant suite au principe de juxtaposition prévalant dans les serres, vérandas et jardins d’hiver.

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Écologique

Collaborer avec des spécialistes des plantes remet en cause de nombreuses idées reçues sur les vertus écologiques des plantes, le plus souvent fondées sur des critères d’un marketing idéologique de plus en plus souvent remis
en question. Mieux les connaitre permet, par exemple, de moins les considérer comme des « prestataires de service » chargées de nettoyer ou de dépolluer notre environnement, mais de s’intéresser à leurs qualités vivantes et sensibles afin de les accueillir comme alliées de l’enrichissement de nos cadres de vie contemporains.

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Éthnique

Plus nous en apprenons sur les plantes, et mieux nous connaîtrions, par comparaison ou assimilation, les rouages de la conscience humaine ? Les plantes nous apprennent plutôt à désapprendre. Elles nous font entrer, comme la mécanique quantique l’a provoqué en bouleversant notre perception newtonienne de la physique, dans une nouvelle ère de relativité, d’humilité et de curiosité de la vie sous toutes ses formes.

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Responsable

Le végétal est aujourd’hui assimilé à un produit standardisé, manipulé, conditionné pour répondre à des logiques commerciales de marketing et de vente. Le designer réhabilite et reconsidère la plante dans son individualité, sa diversité et son statut d’organisme vivant unique et respectable.

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Politique

La part verte joue aujourd’hui un rôle politique et géopolitique majeur dans les secteurs de
la nourriture, de l’énergie ou de la santé. Les excès liés à ces enjeux – OGM, déforestation, spéculation – condamnent à moyen et long terme l’existence même du règne végétal.
Le design végétal s’avère un instrument de médiation, de dialogue et de militantisme. Criez- le avec des fleurs, mais criez-le.

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Joyeuse

Les fleurs et arbres sont invités traditionnellement à toutes nos fêtes, nos amours et nos célébrations. Avec humour et irrespect, le design végétal joue avec l’espace, les couleurs, les parfums, le plaisir. Il invite à la fête des formes
et participe à une joyeuse communion, libre et féconde, dans le sens de la vie.
Le livre Faut pas pousser qui est le fruit de diverses rencontres, conférences et journées d’étude organisées par l’Esad de Reims pose les bases d’une réflexion amorcée au sein de l’Atelier de design végétal (Edition Esad de Reims)

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Botanique

Le monde végétal parait être à l’opposé du notre. Il est instable, imprévisible, capable de mutations rapides. Enracinées au sol, les plantes sont irrémédiablement liées à des milieux particuliers alors que nous pouvons nous déplacer de façon autonome. Les fonctions vitales des plantes sont optimisées par des formes très riches et très diverses, mais le plus remarquable réside certainement dans leur plasticité. Elles ont la capacité de s’adapter aux transformations ou aux agressions de leur milieu en modifiant leur propre forme. Cela est très intéressant à observer pour un designer si l’on considère, comme moi, que l’enjeu principal du design réside dans la meilleure adaptation possible de l’homme à son milieu naturel et artificiel.

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Urbaine

Tous les spécialistes de l’espace urbain s’accordent à dire que les jardins doivent sortir des squares et autres enclos pour investir les espaces publics et l’architecture. Cette échappée belle du végétal vers la rue, support de biodiversité végétale et animale, est certainement l’une des clefs incontournables pour la transformation des villes. Les designers ont toute leur place dans les équipes en charge de cette réflexion qui s’étend jusqu’aux problématiques d’agriculture urbaine couvrant la ville et les territoires proches.

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